La famille,
un sujet toujours actuel
Passant une soirée dans une famille amie, je fus
amené à lire une histoire aux enfants avant qu’ils
aillent se coucher. On me mit dans les mains l’histoire
du Petit Poucet, dans sa version intégrale…
Il est parfois utile de réviser ses classiques. On redécouvre
ce que l’on croyait connaître. Quelle
ne fut pas ma surprise dans cette plongée dans
la misère la plus noire où se côtoient le meurtre, le
vol et l’indifférence la plus inhumaine.
Quelle leçon les enfants tirent-ils de cette histoire
atroce ? Ils l’écoutaient sagement pourtant,
avec gravité. Que l’ogre égorge ses propres filles
ne semblait même pas les étonner. Je crois me
souvenir qu’enfant, je retenais la leçon de l’intelligence
du Petit Poucet, de sa prévoyance, de sa
ruse. Mais aujourd’hui, j’y vois une leçon sur le
rôle irremplaçable de la famille.
Tout au long de l’histoire, avec un acharnement
méthodique, le Petit Poucet fera tout pour sauver
sa famille qui ne le mérite pas, qui le méprise, qui
ne lui vaut aucune reconnaissance. Même
quand à la cour, possédant les bottes de sept
lieues, il sert de coursier aux amours infidèles, ce
n’est que pour mieux sortir sa famille de la misère.
Le Petit Poucet n’est pas le défenseur de la famille
en général, mais celui de la famille réelle, la
sienne, viscéralement.
De nos jours, le couple de bûcherons aurait éclaté.
Après leur récidive dans l’abandon de leurs
enfants, les parents du Petit Poucet auraient été
déchus de leur parentalité. Le Petit Poucet placé
dans une famille d’accueil, s’efforcerait de renaître à ce qu’il lui arrive. Mais aurait-il la même
rage à se battre ? Aurait-il encore quelqu’un pour
qui tout risquer, tout inventer, tout oser ?
La justesse de l’intuition de Charles Perrault tient à ce qu’elle met en scène le rôle structurant de
la famille, à son insu. Ce n’est pas que les parents
y soient pour quelque chose : ils sont indignes. Les
frères : ils sont évanescents. Le Petit Poucet luimême,
lui seul, est l’auteur de l’énergie vitale qui
le pousse à faire quelque chose de sa vie, à le
faire pour les autres. Il rebondit aux effroyables
difficultés qui s’acharnent contre lui du seul fait
qu’il a une famille.
Évidemment, la famille au XVIIIe siècle n’est pas
ce qu’elle est aujourd’hui. Mais où les enfants
d’aujourd’hui iront-ils puiser leur énergie vitale ?. |