Dossier :

Vous avez dit solidaire ?

Oui, s’il fallait d’un mot résumer la nouvelle encyclique Caritas in Veritate de Benoît XVI, c’est bien le mot « solidaire » qui convient dans notre language actuel. Nous sommes tous appelés à travailler pour un monde plus solidaire, au niveau de la famille ou des Etats. Dans son analyse de l’encyclique, le Cardinal Barbarin nous donne envie d’avoir accès au texte même de Benoît XVI. Et le Père de Laubier nous dévoile comment l’encyclique est reçue aux quatre coins du monde.

Notre charité est-elle vraie, concrète, et non pas seulement un amour de parole ? S’enracine- t-elle dans la vérité de l’homme et du monde ? Voilà les deux questions suggérées par les traductions possibles de Caritas in veritate. Depuis maintenant quatre ans, l’enseignement du Pape, commencé avec Dieu est amour (Deus caritas est) se déploie à partir du mystère de la charité, et, pour la première fois, il aborde les questions sociales.
La charité est la voie maîtresse de la doctrine sociale de l’Église, écrit Benoît XVI. Toute responsabilité et tout engagement définis par cette doctrine sont imprégnés de l’amour qui, selon l’enseignement du Christ, est la synthèse de toute la Loi (cf. Mt 22, 36- 40). L’amour donne une substance authentique à larelation personnelle avec Dieu et avec le prochain.

“A l’écologie de l’environnement doit correspondre une écologie de l’homme."

Il est le principe non seulement des micro-relations - rapports amicaux, familiaux, en petits groupes - mais également des macro-relations - rapports sociaux, économiques, politiques. » (N° 2).
Fidèle au style que nous lui connaissons, Benoît XVI part toujours d’une contemplation de l’amour de Dieu et de la méditation des Ecritures pour aborder les questions telles qu’elles se posent aujourd’hui.

1 – La Bible affirme déjà que celui qui prétend aimer Dieu et ne garde pas les commandements ou n’aime pas son frère, est un menteur, « la vérité n’est pas en lui » (1 Jn 2, 4). Le chemin de la charité est concret et doit s’adapter sans cesse aux situations économiques et sociales nouvelles. Le Pape pose clairement les notions de justice et de bien commun, à partir desquelles il ne craint pas d’entrer dans des considérations très pratiques, en interrogeant par exemple sur la pertinence de la distinction entre entreprises « à but lucratif » et organisations « à but non lucratif » (n° 46), ou sur des organismes de coopération internationale qui consacrent une large part de leur budget à s’auto-alimenter, ou encore sur une conception de l’éthique environnementale aboutissant « soit [à] considérer la nature comme une réalité intouchable, soit, au contraire, [à] en abuser » (n° 48). En tout cela, l’économie n’est pas toujours le lieu d’humanité et de responsabilité qu’elle devrait être.

2 - Si l’action n’est pas fondée sur la vérité du monde et de l’homme, nos initiatives ne porteront pas un authentique fruit d’amour. « Compte tenu de la complexité des problèmes, écrit Benoît XVI, il est évident que les différentes disciplines scientifiques doivent collaborer dans une interdisciplinarité ordonnée. La charité n’exclut pas le savoir, mais le réclame, le promeut et l’anime de l’intérieur. Le savoir n’est jamais seulement l’oeuvre de l’intelligence. » Le progrès et le développement auxquels la société travaille, supposent une connaissance profonde de « l’homme tout entier » et de la création. Il est clair qu’on doit agir avec cohérence et qu’on ne peut pas dissocier l’éthique sociale de celle de la vie, ou l’écologie humaine du respect de la
création...
C’est ainsi qu’à l’écologie de l’environnement doit correspondre une écologie de l’homme : « Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. » (n° 51) Benoît XVI, dans cet enseignement qui est comme une méditation
ouverte, invite ainsi à ne jamais dissocier la vérité de la charité, pour parvenir à «l’élargissement de la raison » (n° 33), rendu nécessaire par les nouveaux défis de la mondialisation.

Extraits du texte du Cardinal Philippe Barbarin sur l’encyclique Caritas in Veritate

 

Comment l’encyclique est-elle reçue
à travers le monde ?

“ L’amour est le principe des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques. »

Russie
. En Russie – c’est une grande nouveauté – le texte de l’encyclique est disponible en russe. Le patriarcat est très réservé vis-à-vis de Rome, les enjeux politiques rendant difficile le rapprochement entre Églises orthodoxe et catholique. L’Ukraine, notamment, reste au centre des préoccupations du patriarche car s’y côtoient malaisément les orthodoxes dépendant de Moscou, les gréco-catholiques (5 millions) rattachés à Rome et la communauté orthodoxe nationale dont le métropolite est anti-russe. Cependant le patriarche Cyrill est plus ouvert que ses prédécesseurs, et d’autre part, l’Église orthodoxe russe se dote depuis quelques années de documents de réflexion à l’instar, mais sans s’y référer, de l’Église catholique : pensée sociale (août 2000), balbutiante et un peu contradictoire ; droits de l’homme (en cours). Certains points de l’encyclique de Benoît XVI feront obstacle : la démocratie est acceptée comme un pis-aller dans les esprits russes, le mariage est théoriquement indissoluble mais il existe 17 cas d’annulation… Le public est certainement restreint, mais Caritas in veritate est un document qui va permettre la discussion et un rapprochement, car elle propose une approche éthique de la vie sociale et économique et permet de travailler sur le plan social et non théologique ; c’est donc une plate-forme pour un dialogue très fécond
entre les Églises.

Brésil
. Au Brésil, des colloques sont programmés sur l’encyclique Caritas in veritate, ce document sera donc étudié aussi par les laïcs. Le pays est toujours marqué par la théologie de la libération qui a germé de l’indignation devant l’effrayante pauvreté d’une grande partie de la population ; mais le message chrétien a été politisé dans l’atmosphère marxisante des années 1970, au point que la doctrine sociale de
l'Eglise en a ete méconnue et balayée ; les théologiens de la libération prônaient la lutte contre le capitalisme pour aboutir en dernier lieu à l’évangélisation. La haute teneur spirituelle de l’encyclique va à l’encontre de cette démarche. Elle arrive au moment où se manifeste dans l’Eglise catholique brésilienne un renouveau spirituel, charismatique et mystique, qui vient borner l’expansion des sectes évangéliques. De nombreuses communautés se sont créées, notamment dans les classes moyennes et aisées qui sont plus cultivées, au sein desquelles se recrute le clergé local. C’est un public en pleine évolution, en attente d’une structure intellectuelle pour étayer le charisme jusque là exclusivement spirituel des nouvelles communautés. L’encyclique est un instrument de formation qui permet de répondre aux problèmes posés par la théologie de la libération, la pauvreté et la richesse émergeante.

Chine
. En Chine, l’encyclique est accessible pour les internautes. L’Église clandestine est en sursis ; l’Église officielle ne va pas s’engager, elle laissera le gouvernement affronter à sa manière les problèmes évoqués. Or le marxisme est toujours enseigné à l’université : 4 heures de cours par semaine et l’examen en fin d’année obligatoire ! Via internet, l’attrait de la chose défendue va susciter une curiosité ; le public sera essentiellement composé d’étudiants et d’intellectuels
non chrétiens.

Etats-Unis
. Aux USA, certains « think tanks » catholiques, tout en ménageant le pape, jugent négativement la tonalité de l’encyclique qu’ils considèrent gauchisante, le libéralisme n’y étant pas suffisamment loué. Il faudra étudier l’évolution de cette réception, ainsi qu’en Afrique l’apport particulier des prêtres africains étudiant à l’étranger. En Europe, on ne pourra plus nier l’existence d’un enseignement social chrétien, accueilli par les catholiques en plein réveil. Nul doute que cette longue encyclique sera féconde dans le temps, car elle a pour caractéristique le souffle spirituel qui la traverse de part en part, elle ne propose pas un programme économique, mais une orientation idéale, celle de l’économie du Salut. .

Don Patrick de Laubier
(propos recueillis par Sabine Garnier)

L’auteur de l’article…

Dom Patrick de Laubier, ordonné prêtre le 13 mai 2001 par Jean-Paul II, est professeur honoraire de l’Université de Genève (sociologie), docteur h.c. de l’Université des sciences humaines de Moscou, ancien membre du Conseil pontifical Justice et paix (Rome). Il poursuit son enseignement à travers le monde, notamment au Brésil et en Chine en sus de la Russie et de l’Ukraine qu’il connaissait déjà bien avant la chute du rideau de fer. .